CO2 et chaîne de valeur : Principes généraux

mercredi 12 février 2020
par  Jean-Marc Laudereau

D’après l’ADEME, toute entreprise peut évaluer (ou faire évaluer) ses propres émissions de gaz à effet de serre :

  • en identifiant les installations et sources potentielles d’émissions,
  • et en mesurant ces émissions en fonction de leur positionnement dans le périmètre de responsabilité de l’entreprise : Émissions directes ou indirectes, liées ou non à une production d’énergie.

C’est même depuis 2010 une obligation légale pour les entreprises de plus de 500 salariés (en métropole), qui sont tenues d’effectuer au moins un bilan GES tous les quatre ans.

Il s’agit néanmoins d’une avancée insuffisante car cette approche partielle ne permet pas d’évaluer l’ensemble des émissions carbone sur une chaîne de valeur, pour la simple raison qu’une entreprise n’a aujourd’hui aucun moyen systématique de connaître les émissions dont sont responsables ses fournisseurs et prestataires.

Objectifs

Cette avancée envoie cependant un signal très positif en signifiant que le bilan GES pour une entreprise donnée est quelque chose de réalisable.

Sous cette hypothèse [1], considérée comme acquise même si elle est loin d’être généralisée, l’objet de cet article est d’apporter des éléments de réflexion sur l’informatisation potentielle de la remontée de l’information relative aux émissions de GES, limitées dans un premier temps au CO2 à titre d’illustration, le long d’une chaîne de valeur.

Des coûts sans les recettes

A noter en préliminaire que le terme ‘informatisation’ ne fait pas seulement référence aux systèmes d’information qui la supportent. Ces derniers ne peuvent en effet être utilisés efficacement qu’en se référant à des organisations et processus adéquats, ce qui ne fait qu’augmenter les coûts comme chacun sait.

Or il s’agit là de besoins nouveaux qui risquent bien de ne générer aucun revenu supplémentaire (sauf probablement pour la puissance publique …) susceptible de couvrir potentiellement les coûts à engager pour y répondre. On voit mal en effet comment la remontée de l’information sur les émissions de CO2 le long d’une chaîne de valeur tirerait la demande pour les produits de cette chaîne.

Les entreprises risquent donc fort d’être plus que réticentes pour une telle aventure …

Faire du neuf avec du vieux

Et pourtant il va bien falloir y passer.

D’où l’idée de se rapprocher de systèmes, processus et organisations existants pour limiter les coûts, idée dont la viabilité économique reste cependant à démontrer : les professionnelles et professionnels de l’informatique savent bien qu’il est parfois (souvent ?) moins couteux de remettre les choses à plat plutôt que de maintenir à bout de bras des systèmes qui n’en peuvent plus à force d’avoir été modifiés (altérés ?) dans tous les sens.

A ce stade on ne peut que faire acte de foi envers les technologies de l’information contemporaines, dont les vendeurs nous vantent à longueur de temps combien efficacement elles garantissent la résilience (le mot est à la mode) des SI.

La présente réflexion est donc soumise à une seconde hypothèse (2) : les SI sont suffisamment flexibles et adaptables pour intégrer à coûts maîtrisés de nouvelles fonctionnalités inspirées de ce qui existe déjà.

Un nouveau flux de données pour alimenter et vider un stock de CO2

Il est donc question de concevoir un flux constant et, si possible, automatisé de données au long de la chaîne de valeur : à travers ce nouveau flux, chaque entreprise recevrait de ses fournisseurs et prestataires les émissions CO2 totales liées à leurs produits et prestations ; à charge ensuite à l’entreprise de transférer à son tour à ses clients ses émissions totales, incluant celles qu’elle a elle-même générées et celles apportées par ses fournisseurs et prestataires.

Il s’agit en théorie d’un processus cumulatif : A chaque étape de la chaîne de valeur, le « stock » d’émissions CO2 augmente des émissions CO2 du maillon de l’étape et de ses fournisseurs. En bout de chaîne, le client / utilisateur final verra sur sa facture l’intégralité des émissions CO2 liées à son achat.

Le stock de CO2 qui se constitue augmentera t-il indéfiniment pour chaque entreprise ? Non, car le processus de transfert vers les clients de l’entreprise videra le stock d’autant.

Les nouveaux processus à mettre en place par chaque entreprise ont donc comme objectifs :

  • alimenter un stock de CO2, en se rythmant sur les achats de produits et prestations,
  • répartir ce stock sur les produits et services mis en vente,
  • transférer des informations d’émissions de CO2 liées aux ventes d’une entreprise vers les clients,
  • vider le stock de CO2, en le rythmant sur les ventes,
  • calculer l’apport en CO2 de l’entreprise à la chaîne de valeur sur une période donnée.

Organisation et processus

Il existe déjà dans les entreprises des acteurs et processus dont l’effet collatéral est de « pousser » des informations le long de la chaîne de valeur, notamment en :

  • recherche et développement,
  • production,
  • chaîne logistique,
  • marketing et vente,
  • comptabilité et fiscalité de l’entreprise,

Parmi ceux-ci, les acteurs et processus liés à la comptabilité et la fiscalité sont ceux qui sont le plus confrontés de manière standardisée aux chiffres (coûts, chiffres d’affaires, TVA, etc.).

Avant de décider des acteurs (les équipes comptabilité et finance ne seraient pas nécessairement en charge), on peut néanmoins identifier les processus dont on pourrait s’inspirer pour faire fonctionner l’ensemble :

  • en amont : méthodes utilisées en comptabilité analytique pour répartir les émissions de CO2 sur les produits / services vendus,
  • gestion de stock simplifiée (produit unique, pas de FIFO / LIFO, …),
  • gestion des factures fournisseurs, qui véhiculent les émissions CO2 totales liées aux achats,
  • gestion des factures clients, qui véhiculent les émissions CO2 totales liées aux ventes,
  • enregistrement des « écritures » d’alimentation et de vidage du stock de CO2.

Taxe carbone

Incidemment, le calcul de l’apport en CO2 de l’entreprise à la chaîne de valeur, rythmé sur ses achats et ventes, permettrait aussi de calculer une taxe carbone, en attribuant une redevance aux tonnes de CO2 de l’apport et dont le coût unitaire pourrait être indexé sur le stock moyen de CO2 sur une période donnée.

Le détail de cette taxe est évidemment à préciser, mais on peut dès à présent y voir plusieurs avantages :

  • la taxe n’est pas liée à des objectifs arbitraires de réduction des émissions carbone,
  • l’entreprise reste maîtresse de ses choix tout en étant incitée, à un rythme déterminé par la puissance publique, à baisser ses propres émissions (taxe calculée sur l’apport) et celles de ses fournisseurs (niveau unitaire de la taxe indexée sur le stock de CO2),
  • le fonctionnement de la taxe serait proche de celui de la TVA.

Conclusion

Qu’attendons-nous ?

Plus de détails dans l’article suivant : "Taxe sur les émissions carbone ajoutées (TECA)"
.

Une randonnée qui démarre bien ...
(Corée du Sud 2015 - JM Laudereau)

[1Hypothèses stratégiques :

1. Le bilan GES pour une entreprise donnée est quelque chose de réalisable sans mettre en danger la viabilité de l’entreprise.
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2. Les SI sont suffisamment flexibles et adaptables pour intégrer à coûts maîtrisés de nouvelles fonctionnalités inspirées de ce qui existe déjà.
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